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POT-BOUILLE

l’écarta, tandis qu’elle répondait très bas à son frère :

— Malheureux ! l’agonie de notre pauvre père ne t’est pas même sacrée… Regarde-le, contemple ton œuvre ; oui, c’est toi qui lui as tourné le sang, en refusant de payer tes termes en retard.

Valérie se mit à rire.

— Voyons, ce n’est pas sérieux, dit-elle.

— Comment ! pas sérieux ! reprit Clotilde, révoltée. Vous saviez combien il aimait à toucher ses termes… Vous auriez résolu de le tuer, que vous n’auriez pas agi autrement.

Et elles en venaient à des mots plus vifs, elles s’accusaient réciproquement de vouloir mettre la main sur l’héritage, lorsque, toujours maussade et calme, Auguste les rappela au respect.

— Taisez-vous ! Vous aurez le temps. Ce n’est pas convenable, à cette heure.

Alors, la famille, se rendant à la justesse de cette observation, prit place autour du lit. Un grand silence tomba, on entendit de nouveau le râle, dans la chambre moite. Berthe et Auguste étaient aux pieds du mourant ; Valérie et Théophile, arrivés les derniers, avaient dû se mettre assez loin, près de la table ; tandis que Clotilde occupait le chevet, ayant son mari derrière elle ; et, au bord même des matelas, elle poussait son fils Gustave, que le vieillard adorait. Tous se regardaient maintenant, sans une parole. Mais les yeux clairs, les lèvres pincées disaient les réflexions sourdes, les raisonnements pleins d’inquiétude et d’irritation, qui passaient dans ces têtes pâles d’héritiers, aux paupières rougies. La vue du collégien, si près du lit, exaspérait surtout les deux jeunes ménages ; car, c’était visible, les Duveyrier comptaient sur la présence de Gustave pour attendrir le grand-père, s’il recouvrait sa connaissance.