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POT-BOUILLE

remuèrent, mais ne rendirent aucun son. Tous se poussaient, voulaient lui arracher sa dernière parole. Valérie, placée derrière, forcée de se hausser sur les pieds, dit avec aigreur :

— Vous l’étouffez. Écartez-vous donc. S’il désirait quelque chose, on ne pourrait pas savoir.

Les autres durent s’écarter. En effet, les yeux de M. Vabre fouinaient la chambre.

— Il désire quelque chose, c’est certain, murmura Berthe.

— Voici Gustave, répétait Clotilde. Vous le voyez, n’est-ce pas ?… Il est sorti pour vous embrasser. Embrasse ton grand-père, mon petit.

Comme l’enfant, effrayé, reculait, elle le maintenait d’un bras, elle attendait un sourire sur la face décomposée du moribond. Mais Auguste, qui étudiait la direction de ses yeux, déclara qu’il regardait la table : sans doute il voulait écrire. Ce fut un saisissement. Tous s’empressèrent. On apporta la table, on chercha du papier, l’encrier, une plume. Enfin, on le souleva, on l’adossa contre trois oreillers. Le docteur autorisait ces choses, d’un simple clignement de paupières.

— Donnez-lui la plume, disait Clotilde frémissante, sans lâcher Gustave, qu’elle présentait toujours.

Alors, il y eut une minute solennelle. La famille, serrée autour du lit, attendait. M. Vabre, qui semblait ne reconnaître personne, avait laissé échapper la plume de ses doigts. Un instant, il promena les yeux sur la table, où se trouvait la boîte de chêne, pleine de fiches. Puis, glissé des oreillers, tombé en avant comme un chiffon, il allongea le bras par un suprême effort ; et, la main dans les fiches, il se mit à patauger, avec le geste d’un bébé heureux, qui pétrit quelque chose de sale. Il rayonnait, il voulait parler, mais il ne bégayait qu’une syllabe, toujours la même, une de ces