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POT-BOUILLE

— Il a encore l’œil bouché. C’est agaçant, son mal de tête !… Hier, vous avez entendu comme il traînait les pieds… Tenez, le voilà qui regarde dans la rue. Hein ? est-il assez idiot !… Sale bête, sale bête !

Et Auguste ne pouvait remuer, sans que le fou se fâchât. Puis, venaient les propositions inquiétantes.

— Si vous voulez, à nous deux, nous allons le saigner comme un cochon.

Octave le calmait. Alors, Saturnin, dans ses jours de tranquillité, voyageait de lui à la jeune femme, d’un air ravi, leur rapportait des mots qu’ils avaient dits l’un sur l’autre, faisait leurs commissions, était comme un lien de continuelle tendresse. Il se serait jeté par terre, devant eux, pour leur servir de tapis.

Berthe n’avait plus reparlé du cadeau. Elle semblait ne pas remarquer les attentions tremblantes d’Octave, le traitait en ami, sans trouble aucun. Jamais il n’avait tant soigné la correction de sa tenue, et il abusait avec elle de la caresse de ses yeux couleur de vieil or, dont il croyait la douceur de velours irrésistible. Mais elle ne lui était reconnaissante que de ses mensonges, les jours où il l’aidait à cacher quelque escapade. Une complicité s’établissait ainsi entre eux : il favorisait les sorties de la jeune femme en compagnie de sa mère, donnait le change au mari, dès le moindre soupçon. Même elle finissait par ne plus se gêner, dans sa rage de courses et de visites, se reposant entièrement sur son intelligence. Et, si, à sa rentrée, elle le trouvait derrière une pile d’étoffes, elle le remerciait d’une bonne poignée de main de camarade.

Un jour pourtant, elle eut une grosse émotion. Octave, comme elle revenait d’une exposition de chiens, l’appela d’un signe dans le sous-sol ; et, là, il lui remit une facture, qu’on avait présentée pendant son absence, soixante-deux francs, pour des bas brodés.