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LES ROUGON-MACQUART

avec des yeux d’amour, comme s’il avait partagé la douceur de la faute. Hortense daignait l’écouter, tandis que madame Josserand lui versait à boire, pleine d’un encouragement maternel.

— Mon Dieu ! oui, dit Berthe au dessert, je vais me remettre à la peinture… Il y a longtemps que je veux décorer une tasse pour Auguste.

Cette bonne pensée conjugale toucha beaucoup ce dernier. Sous la table, depuis le potage, Octave avait posé son pied sur celui de la jeune femme ; c’était comme une prise de possession, dans cette petite fête bourgeoise. Pourtant, Berthe n’était pas sans une sourde inquiétude devant Rachel, dont elle surprenait toujours le regard fouillant sa personne. Ça se voyait donc ? Une fille à renvoyer ou à acheter, décidément.

Mais M. Josserand, qui se trouvait près de sa fille, acheva de l’attendrir en lui glissant, derrière la nappe, dix-neuf francs, enveloppés dans du papier. Il s’était penché, il murmurait à son oreille :

— Tu sais, ça vient de mon petit travail… Si tu dois, il faut payer.

Alors, entre son père, qui lui poussait le genou, et son amant, qui frottait doucement sa bottine, elle se sentit pleine d’aise. La vie allait être charmante. Et tous se détendaient, goûtaient l’agrément d’une soirée passée en famille, sans dispute. En vérité, ce n’était pas naturel, quelque chose devait leur porter bonheur. Seul, Auguste avait les yeux tirés, envahi par une migraine, qu’il attendait d’ailleurs, à la suite de tant d’émotions. Même, vers neuf heures, il dut aller se coucher.