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POT-BOUILLE

tant, il aurait été si facile d’acheter cette fille, en lui donnant cent sous de temps à autre. Mais il fallait les avoir, les cent sous ; elle ne les avait jamais, elle n’avait rien. Sa voix devenait sèche, le châle de lama dont elle ne parlait plus, la travaillait d’un tel désespoir et d’une telle rancune, qu’elle finit par faire à son amant l’éternelle querelle dont elle poursuivait son mari.

— Voyons, est-ce une vie ? jamais un liard, toujours rester en affront à propos des moindres bêtises… Oh ! j’en ai plein le dos, plein le dos !

Octave, qui déboutonnait son gilet en marchant, s’arrêta pour lui demander :

— Enfin, à quel sujet me dis-tu tout cela ?

— Comment ! monsieur, à quel sujet ? Mais il est des choses que la délicatesse devrait vous dicter, sans que j’aie à rougir d’aborder avec vous de pareilles matières… Est-ce que, depuis longtemps, vous n’auriez pas dû, de vous-même, me tranquilliser en mettant cette fille à nos genoux ?

Elle se tut, puis elle ajouta d’un air d’ironie dédaigneuse :

— Ça ne vous aurait pas ruiné.

Il y eut un nouveau silence. Le jeune homme, qui s’était remis à marcher, répondit enfin :

— Je ne suis pas riche, je le regrette pour vous.

Alors, tout s’aggrava, la querelle prit une violence conjugale.

— Dites que je vous aime pour votre argent ! cria-t-elle avec la carrure de sa mère, dont les mots lui remontaient aux lèvres. Je suis une femme d’argent, n’est-ce pas ? Eh bien ! oui, je suis une femme d’argent, parce que je suis une femme raisonnable. Vous aurez beau prétendre le contraire, l’argent sera quand même l’argent. Moi, lorsque j’ai eu vingt sous, j’ai toujours dit