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Page:Ernest Cœurderoy - Hurrah !!!.djvu/27

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tout son rouge sang vers les plus lointains avenirs. Parmi tous ces aveugles, il est un homme qui voit clair ; parmi tous ceux qui dorment, n’apprenant rien, n’oubliant rien, je veille de longues nuits.

De ce poteau d’exil qu’on a tenté de rendre infâme, je veux faire une colonne de marbre et d’or qui resplendisse aux feux du nouveau soleil. Et jusqu’à son sommet je m’élèverai, et je verrai de haut les peuples et les mondes. Aux intelligences généralisatrices, aux âmes aimantes, aux regards perçants, aux voix qui vibrent, l’exil est bon ; aux hommes de bonne volonté l’exil est fécond en pensées et en travaux. Il faut que l’exil soit peuplé, il faut qu’il soit chanté. C’est dans l’exil que naissent les citoyens du Nouveau-Monde. Je le jure, la main sur l’histoire, sur l’organisation des sociétés naissantes, sur les récits des migrations des peuples. Je le jure en voyant passer dans l’air la graine ailée, le fil télégraphique, la fumée noire des grands navires. Je le jure par l’indépendance de ma solitude et par les rêves consolateurs qui me transportent au milieu de l’humanité future.

À ceux qui consentent à vivre gras dans la France asservie, je dirai : « Il ne vous appartient pas de blasphémer la proscription ! Non, toute la science n’est pas dans vos bibliothèques et vos académies aux vieilles senteurs ; non, tout le bien-être n’est pas dans vos spéculations fiévreuses ; non, tout art, toute inspiration, toute poésie, toute action, toute beauté, toute littérature, tout progrès, tout bonheur, vous ne les avez pas confisqués. Non, toute la découverte et toute la révolution ne sont pas en France. L’humanité, la mère féconde, n’a pas fait de nation immortelle au détriment des autres : son cœur bat pour tous les enfants de son amour. L’exil centuple la vie de l’homme en lui donnant l’humanité pour patrie. Les vrais exilés, sur cette terre, ce sont ceux qui ne peuvent sortir de chez eux