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Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/94

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Firmin sentit frissonner son cœur. Il passa la main sur son front et y essuya de larges gouttes de sueur.

— Ça veut dire, maître, qu’elle vous aime, continua l’esclave ; ce qui le prouve encore, c’est qu’elle est allée, pendant la nuit, demander à la vieille Cora un quimboix contre l’amour. J’étais là, j’ai tout entendu. Cora lui a demandé si elle ne voulait donc pas aimer Huron, son mari. Ce n’est pas contre lui que je veux me défendre ; a-t-elle répondu, au contraire ; mais celui que j’aime et que je voudrais ne plus aimer, est un blanc qui ne m’épousera pas, et qui me respecte trop pour m’avilir. Si je ne me guéris pas, a-t-elle ajouté, j’en mourrai. Cora répondit qu’elle ne croyait pas posséder de quimboix assez fort pour protéger une jeune mulâtresse amoureuse contre un blanc aussi riche et aussi puissant que M. de Lansac[1]. Elle lui fit boire néanmoins un coup de tafia, dans lequel avait trempé un anoli[2], et lui passa au cou une graine de courbaril et un œil de bourrique[3].

— Si ça ne vous guérit pas, lui dit Cora en la congédiant, revenez me voir demain, je quimboiserai également Huron.

— J’avais tout entendu, vous ai-je dit, maître, reprit le vieux nègre. J’attendis mam’selle Madeleine au détour de la case ; et, malgré qu’elle eût bien peur et bien honte d’avoir été surprise chez la sorcière, je lui promis de lui procurer un quimboix plus puissant que tous ceux de la mère Cora. Je la priai de me donner pour cela quatre jours, parce que je suis bien vieux pour marcher ; et qu’il

  1. Tous ces détails sont conformes aux croyances superstitieuses des femmes aux colonies, même de beaucoup de femmes blanches et très-éclairées. (Voir mon volume : les Femmes du Nouveau-Monde.)
  2. Sorte de petit lézard considéré comme un animal bienfaisant.
  3. Graine grisâtre très-commune aux Antilles, et qui ressemble, en effet, à un œil d’âne.