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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/166

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trai, chez cette baronne, devinez qui je vis ?… Notre petit Gunther en personne, le jabot fripé, les cheveux à la diable, jouant comme un intrépide, et perdant avec un aplomb enchanteur !…

— Moi, je l’ai vu aussi, dit Albert, au bras de la plus jolie femme que j’ai jamais adorée !…

— Sara !… interrompit tout bas Otto.

— Ma parole d’honneur ! s’écria l’homme à bonnes fortunes, vous êtes un peu sorcier, mon frère !… et l’on aurait de la besogne à vouloir se cacher de vous… Sara, c’est vraiment son nom… et si ce n’avait été l’enfant, je crois, morbleu ! que j’aurais été jaloux, car, depuis quatre ou cinq jours, je la cherchais dans Paris comme une âme en peine.

— Ne l’aviez-vous pas revue au bal Favart ?

— Si fait… un seul instant.

— Et vous l’aimez encore ?

— Je ne sais trop… Avec elle, voyez-vous, toutes les folies sont possibles.

Goëtz bâilla.

— C’est bien étonnant, dit-il, que notre Albert, qui a tant d’esprit, ne puisse parler que d’amourettes… Ah ! la bonne semaine, mes frères !… Quel bordeaux et quel Champagne, il y a dans ce Paris !… je crois que le vin du Rhin, lui-même y est meilleur que chez nous… Mais laissez-là vos belles, Albert, moi, je mettrai de côté le jeu et le vin : deux bonnes choses pourtant ! car notre frère Otto est au-dessus des faiblesses humaines et le voilà qui nous prend en grandissime pitié… Voyons, Otto, êtes-vous encore fâché contre nous ?

Celui-ci fut quelques secondes avant de répondre.

— Je vous aime, dit-il enfin en adoucissant sa voix grave ; je sais ce qu’il y a de noble dévouement dans vos cœurs !… Mais vous n’avez point vieilli depuis les jours de notre jeunesse… Vous êtes toujours les étudiants étourdis de Gœttingue et de Heidelberg… Autrefois, quand nous ne jouions que notre vie, chacun de nous pouvait s’endormir sur le danger… mais à présent, nous ne nous appartenons pas… et c’est une chose douloureuse à penser, mes frères, vous avez pu déserter tous les deux, en même temps, la garde du fils de notre sœur !…