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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/213

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comme le Joconde de M. Étienne : à l’ombre du Panthéon, ils sont sceptiques, et ne croient à rien ; mais au fond des campagnes, ils deviennent romanesques.

Ils ont peur la nuit, dans les sentiers déserts ; le cri du hibou leur donne la chair de poule ; sans avoir jamais appris le métier, ils évoquent du premier coup des spectres capables d’effrayer Anne Radcliffe elle-même.

Ils étaient au fin fond de l’Allemagne. La poésie brumeuse entrait dans leurs poitrines avec l’air qu’ils respiraient. Et quelle belle nuit pour causer de choses lugubres : de grands arbres balancés par le vent d’hiver, un ciel en deuil et la masse sombre du vieux manoir apparaissant vaguement dans l’ombre ! Et les terreurs de cette solennelle mise en scène s’arrêtaient juste à point ; on pouvait frémir comme au spectacle, mais impossible de trembler pour tout de bon ; on était trop, on se coudoyait ; le moyen en pareil cas de n’être pas brave ?

— Vous ne trouvez point de ces délicieuses traditions, disait madame la marquise de Beautravers, assez heureuse pour tenir le bras du jeune M. Abel, dans les maisons des petites gens… À mon château de Picardie, il y a comme cela des histoires incroyables !

Ce pouvait être une impertinence de grande dame ; Abel prit cela pour une flatterie.

— Vous savez, répliqua-t-il, que toutes ces légendes ne se rapportent pas précisément à nous, Geldberg… C’est toujours de Btuthaupt qu’il s’agit… mais nous étions très-près parents des Bluthaupt.

— Les deux familles se valent, dit la marquise ; mais, en somme, quelle est l’histoire de ces trois Hommes Rouges ?…

Madame la duchesse de Tartarie, débris impérial, veuve d’un sabre illustre et propre tante d’un bienfaiteur de la race chevaline, faisait la même question au docteur José Mira.

Un beau petit lion du balcon de l’Opéra interrogeait à ce sujet madame de Laurens, qui était bien triste, la pauvre femme, car son mari se mourait.

Et de toute part c’était la même chose. Mirelune suait sang et eau pour mettre la légende à la portée d’une petite demoiselle de quinze ans,