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Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/49

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sur elle, deux yeux qui avaient dans la nuit, cet éclat particulier aux animaux de l’espèce féline.

Mme de Montfort était une personne d’esprit et savait bien que les vampires s’adressent rarement aux princesses d’un certain âge ; néanmoins, ce regard la fit tressaillir. Il appartenait à monsignor Bénédict, qui, montrant de son doigt blanc et délié où chatoyait un magnifique solitaire, la grande pelouse située au-devant du château, dit de sa voix mielleuse :

— Je voulais faire remarquer seulement à madame la princesse combien les choses les plus simples peuvent revêtir dans l’obscurité des apparences véritablement fantastiques.

Au milieu de la pelouse, on voyait une forme blanche qui se mouvait avec lenteur, tranchant sur le noir de l’herbe. C’était une femme, mais la façon dont les rayons diffus de la lune tombaient sur sa robe flottante lui donnait réellement physionomie de fantôme. Elle glissait sur le fond obscur du parc comme une nuageuse apparition. Le bras du jeune marquis trembla sous celui de sa mère.

— Gaston ! qu’avez-vous donc ? s’écria celle-ci ; allez-vous aussi essayer de me faire peur ?

— Ce vent est froid… balbutia Gaston.

L’archevêque disait en ce moment :

— Voyez-vous ce fantôme ? C’est ma charmante et angélique protégée, Mlle d’Arnheim, qui va nous dire quelques beaux chefs-d’œuvre des maîtres allemands. Mesdames, je vous la recommande du meilleur de mon cœur, car c’est une Antigone chrétienne qui soutient la vieillesse de son père. L’Opéra est plus riche que nous et payerait volontiers deux mille louis par an cette voix sans pareille et cette admirable méthode, mais Mlle d’Arnheim qui est de bonne famille et pieuse comme la prière, ne veut pas entrer à l’Opéra. Elle aime mieux rester pauvre que de risquer son âme pour de l’or ; elle se réduit à donner des leçons ; j’ai promis