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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/261

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Échalot se mit sur ses jambes pour aller aux cris de Saladin.

« En voilà une qui a la vie dure ! soupira-t-il. Do, do, l’enfant do !

— Allonge-lui une calotte ! conseilla Similor.

— Allonge plutôt un sou pour lui acheter du lait, Amédée. Il n’est pas l’auteur que nous éprouvons des tortures. »

Similor ne daigna pas répondre. Il essaya de se rendormir, mais son estomac faisait comme Saladin, il criait. De guerre lasse, il se leva à son tour et chercha dans les coins d’un œil sournois pour trouver quelque chose à vendre.

C’était la centième fois qu’il opérait vainement pareille recherche. Il gronda et jura ; Échalot essaya de le calmer par des paroles pleines d’aménité. C’était bien un ménage, cette bizarre association : un père et une mère. Échalot était la mère, douce, résignée, active, gardant héroïquement la maison misérable ; Similor était le père, bruyamment gai quand le ventre est plein, bourru, brutal, lugubre quand le foin manque au râtelier ; le père, tel que le font les redoutables sauvageries de notre civilisation, le père bon enfant, gourmand, fainéant, nuisible, idole de la pauvre mère battue ; le père, orgueil et fatalité de cette indigence qu’il gangrène et dont il ne meurt jamais.

Échalot était la mère, c’est-à-dire l’amour, le dévouement, la vertu. Il y a une vertu tout au fond de ces invraisemblances effrayantes et grotesques qui sont la vérité même. Ce n’est pas la vertu des régions possibles, et telle qu’elle est, elle va son étrange chemin, enguenillée dans les loques d’un lamentable carnaval, mais c’est une vertu. Cela travaille, cela souffre, cela sert. Depuis que le monde est, les diverses lois morales