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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/263

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Faire un tour aux queues est une industrie qu’aucun de nos lecteurs n’a peut-être exercée. Pour s’y livrer, un diplôme n’est pas indispensable.

C’est après le départ de la queue, le soir, la nuit, ou même le lendemain matin qu’on fait un tour. Deux ou trois mille francs de menue monnaie, en moyenne, sont entrés et sortis par les deux guichets. Quelques gouttes de cette rosée ont pu tomber, et par le fait, les employés qui enlèvent les balustrades trouvent fréquemment sur le pavé des sous et des pièces blanches. Ceux-là sont les moissonneurs.

Après eux, les glaneurs viennent ; au temps où le boulevard du Crime florissait, le tour des queues commençait à la Porte-Saint-Martin et finissait au Petit-Lazari. Les rôdeurs allaient comme des fourmis, à la file, longeant toutes ces maisons dramatiques, et personne ne verra jamais procession plus piteuse ! Tous les gens qui ramassent les bouts de cigare étaient là, les femelles de Hurons, les enfants errants, les beaux de la fashion souterraine. Certains ont fait pendant dix ans cette célèbre tournée sans trouver un liard vaillant, mais des prédestinés sont tombés sur une pièce de cinquante centimes.

On sait cela. C’est la légende. La chance peut venir. La place est bonne.

Échalot, resté seul, se mit à bercer Saladin qui avait appétit et ne se payait point de caresses. Il était dur comme une pierre, ce malheureux bambin, mais l’abstinence a des bornes. Saladin criait comme un enragé ; des convulsions secouaient son petit corps étique. Tout ce qui lui restait de sang était à ses joues, et il faisait une grimace véritablement diabolique.

« Do, do, l’enfant do ! disait Échalot avec son admirable patience. Il est beau, le petit à sa mémère ! Papa va lui apporter du lolo. Dodo ! »