Aller au contenu

Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’étouffer, tant pis, si l’autorité me punit ! Je vas me rabaisser jusqu’à demander l’aumône ! »

Il sortit en proie à une indicible émotion, car il avait le cœur haut, et la pensée de tendre la main l’humiliait jusqu’à la détresse. Heureusement, il n’eut pas besoin d’en arriver là. Le déjeuner d’une voisine, confié à la probité publique, était sur le pas d’une porte. Échalot le chippa, pour employer ce terme caressant qui attife et relève l’idée du vol. Il fut tenté de crier comme au théâtre : « Seigneur, c’est pour mon enfant ! »

Mais l’orgueil du métier naissait en lui, et il se dit en regagnant sa tanière :

« Tout de même, on se fait la main ! Je vas narrer la chose à Amédée.

— Comme quoi, poursuivit-il en abreuvant maître Saladin, qui se tut aussitôt que la nourriture eut touché son bec, puisqu’on est réduit à la ficelle, tu sauras t’en servir avec adresse, pas vrai, trésor ? Avale-t-il ! mais avale-t-il ! Tu vas t’étrangler, farceur ! Ça fait du bien par où ça passe, dis donc, fiston ? »

Il était radieux, et toute sa passion maternelle brillait dans son regard.

« Quoique ça, murmura-t-il, attristé tout à coup, la voisine n’est pas riche ! Et je comptais élever mon Saladin dans les sentiers de l’honneur avec le poil à gratter. Mais bah ! on rendra le sou de lait de la voisine sur la première affaire. Et l’enfant ne saura pas par quelles manigances on lui aura fait sa fortune, dont il jouira plus tard. »

Il avait faim ; néanmoins, il versa religieusement dans la bouteille le reste du repas de Saladin, qui dormait déjà comme un loir.

Un bonheur ne vient jamais seul. La voix prétentieuse et fausse de Similor exécuta des roulades dans