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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/275

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faire son éducation. Similor, inconsolable, désira sauver au moins la joue qu’il avait tant aimée ; ce fut un chagrin de plus ; la défunte l’avait trompée : la joue était en étain.

Ainsi finit cette femme intempérante. Elle est maintenant oubliée. Seul, Échalot va de temps en temps porter quelques fleurs des champs sur sa tombe modeste…

Vers midi, Mme Eustache, la maîtresse du cabaret, voyant qu’on ne consommait plus, mit nos deux amis à la porte. Échalot et Similor étaient de ceux qui peuvent battre douze heures durant, sans fatigue ni rancune, le pavé de la métropole. Ils aimaient prendre le frais sous les ponts ou, selon la température, se réchauffer en faisant espalier le long des murs qui emprisonnent la Seine. La recherche incessante du truc animait leur entretien, et j’étonnerais les personnes qui s’occupent d’esthétique si les bornes de cette étude me permettaient de rapporter in extenso leur devis. Similor était plus éclatant, plus audacieux, plus romantique, Échalot avait plus de sens pratique, plus d’aménité, plus de charme, mais en somme, ils étaient Arcadiens tous deux et Virgile aux écoutes eût traduit leurs dialogues en concerts.

Encore, les bergers de Virgile se privaient habituellement de ce suave élément qui parfume et sanctifie l’églogue moderne : l’enfant, le fruit d’amour, la vivante promesse d’avenir. Échalot avait Saladin sous son bras ; il l’oubliait rarement au coin des bornes, et quand il lui arrivait de l’étouffer en gesticulant, un seul cri de la tendre créature suffisait à réveiller son attention maternelle. Alors, il le prenait par les pieds et le faisait volter avec une caressante adresse ; après deux ou trois tours, il replaçait sa tête en haut, ce dont