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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/339

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au dehors, se privât de médire ; on médisait bien en dedans des portes, du salon, mais nous affirmons que ces humbles invités de l’extérieur, faisant foule autour de la porte cochère, comme les petits Savoyards qui dînent de la fumée de Véfour, n’en disaient pas plus long que les hôtes privilégiés de M. le baron.

Ils venaient du faubourg Poissonnière et du faubourg Saint-Denis, concierges infidèles, gens de service déserteurs, commis de magasins, grisettes, flâneurs et curieux de toute espèce, parmi lesquels allaient et venaient ces philosophes qui sont au-dessus des passions humaines, les gardiens de la cité.

Devant la porte, discrètement illuminée, deux soldats de la garde municipale à cheval se contemplaient mutuellement comme deux statues équestres.

L’ambition du quartier était de darder un regard à l’intérieur de la cour : chose difficile, à cause de l’incessante procession des équipages et de la ténacité du premier rang des curieux qui, ayant acquis ces bonnes places, au prix d’une heure ou deux d’attente, les eût défendues jusqu’à la mort.

Il est superflu d’ajouter que toute la rue d’Enghien était aux fenêtres, depuis l’entresol jusqu’aux combles.

Aux fenêtres, on se disait de ces choses :

« Le roi a envoyé ses fils avec bien des compliments.

— Il y a pour cent vingt mille francs, rien qu’en arbustes et guirlandes.

— Le jardin est couvert en cristal ; ça coûte cinquante mille francs.

— La file des équipages commence à la Madeleine.

— Il avait pourtant une échoppe aux halles.

— Elle courait le cachet pour trente sous.

— Quoi ! Il y en a qui ont de la chance ! »

Je pense que la file des équipages n’allait pas si loin