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Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/102

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chaleurs que fuient les Philadelphiens. Au fond, s’ils restaient chacun chez soi, ils auraient moins chaud ; mais les hôteliers ne feraient plus leurs affaires et les compagnies de bateaux à vapeur ne paieraient pas de dividende. Pour peu que l’on soit actionnaire, on comprend la nécessité des voyages et l’utilité des voyageurs.

Si les pluies abondantes que nous avons eues depuis quelque temps, ont fait croître les moissons, elles ont empêché les voyageurs de pousser. Les hôtels n’ont eu que des demi-récoltes de dollars. Il faut avouer aussi qu’il est tombé assez d’eau pour motiver une hausse dans le prix des parapluies. On comprend que les gens ne se risquent pas sur la route lorsqu’il leur faut mettre des caoutchoucs pour sortir. On aime mieux prendre des bains chez soi que sur le trottoir.

En revanche, la campagne, arrosée tous les jours, est charmante. Les prairies vertes et fleuries étincellent après la pluie, et le soleil sèche en un instant l’herbe humide. Heureux ceux qui, du matin au soir et tard dans la nuit, respirent l’odeur des champs, la senteur des foins, le parfum des fleurs ! Leur cœur est content et leur santé florissante. L’ombre des arbres est la seule qui s’étende sur leur vie, et ils savourent en paix les dernières fraises. La fraise ! le premier des fruits par ordre de naissance et par la délicatesse du goût, qui disparaît si vite du marché des villes, mais qui se cache encore quelque temps sous les touffes d’herbe, au bord des bois, où elle devient la pâture des jeunes gourmets qui courent les champs.

Nous aimons notre pays, du moins nous le disons volontiers ; et sans doute que le choix de la feuille d’érable comme emblème national est une délicate flatterie à l’adresse de nos grandes forêts. Mais cette belle nature qui nous environne, qui étale sous nos yeux ses merveilles, l’admirons-nous assez, en sentons-nous toutes les beautés ? Il ne suffit pas d’aller à Cacouna pour aimer la campagne, et il y a tel bourgeois qui,