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Page:Fleuret - Histoire de la bienheureuse Raton, fille de joie, 1931.djvu/290

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courut après lui pour lui remettre la tirelire qu’il avait oubliée. Religieusement, les filles se l’étaient passée de main en main, y ajoutant leur dernière contribution, qu’elles tiraient de leurs bas, grossis à la cheville d’une monnaie déformante. Elles croyaient que Raton aurait besoin de ce secours pour faire venir des douceurs du dehors, lorsque, dans les premiers temps, du moins, la règle lui semblerait dure. Elles s’acquittèrent sans mot dire, mais en soupirant, de cette gentillesse où elles mettaient le meilleur de leur pauvre âme obscurcie, et elles sentaient que l’infection de la débauche, l’incurie du découragement les gâteraient tout entières quand leur sainte ne serait plus parmi elles. La raison de son départ leur apparut d’une façon confuse, mais elles évitèrent d’en parler, l’appréhendant pour elles-mêmes, et elles courbèrent les épaules sous un destin menaçant.

L’abbé Lapin, les livres sous le bras, la guitare en bandoulière et le chapeau devant les yeux, entra dans la chambre de Nicole, où Raton, encore nue, passait ses humbles bas de coton en se laissant coiffer par Esther. Assis sur une chaise de paille et tournant le dos par décence, il s’essaya à méditer un discours sur l’amour de Dieu, que lui refusa son aisance ordinaire et qu’eussent troublé les sanglots de la Boiteuse, les plaintes aiguës de la négresse, laquelle entendait bien suivre Mamiselle !