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Page:Fleuret - Histoire de la bienheureuse Raton, fille de joie, 1931.djvu/33

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à la modestie des filles. Elle ressentait une grande aversion pour M. Poitou, et pourtant, il faudrait vivre avec lui ! Que seraient les autres ? Combien étaient-ils ? Trouverait-elle au moins une amie de qui elle n’aurait pas à redouter les embrassades, qui ne sentirait ni la prise ni le ratafia, qui aurait les joues lisses, et qui ne parlerait pas le patois de la Ville. L’accent, les intonations, l’obscurité même de ce patois lui semblaient propres aux insanités et aux turpitudes.

Raton se rappela son village et goûta de tristes délices. Les maisons n’y empêchaient point de voir le ciel. Le clocher s’y apercevait de toutes parts. Ceux qui la croisaient lui disaient un mot aimable ; ils ne la bousculaient pas en passant. Au lieu de tous ces cris, de ce bruit perpétuel de fardiers et de carrosses, elle n’y entendait qu’à certaines heures de la journée le bêlement des troupeaux et les voix des basses-cours. Peu après les coqs, dès potron-minet, c’était la chanson d’un laboureur. Il la reprenait le soir avec ses hardes et son bâton.

Elle aurait bien changé son humaine condition contre celle d’un passereau. Si Dieu l’exauçait, elle prendrait son vol à tire-d’aile et s’irait nicher dans le chaume qu’elle venait de quitter. Avec ses mousses vertes, il devait être doux comme du velours. On avait envie de caresser le panache de sa fumée. Le jour, elle