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Page:Fleuret - Histoire de la bienheureuse Raton, fille de joie, 1931.djvu/46

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réveillaient en elle le goût de la contemplation qu’elle prenait naguère pour de la paresse, et que sa nourrice lui avait souvent reproché. Ce goût s’exerçait en ce moment sur un pied qui n’était pas celui des filles d’Eurynome, mais il importait peu. À fixer ce pied qui débordait de la chaussure et défiait avec placidité qu’on l’y fît tenir, Raton voyait l’église de sa paroisse. Il s’en fallait de peu qu’elle n’entendît les chantres, dont l’un était cordonnier et l’autre maréchal ferrant. Ce que disait sa maîtresse lui semblait juste : c’est là que, sans en être tancée, elle goûtait à l’avance le repos futur, qu’elle s’abîmait dans une rêverie paradisiaque, c’est-à-dire qu’on ne définit point et qui dut être le bienheureux état de l’homme avant qu’il fût contraint de travailler pour les autres et pour soi. Elle bénit sa maîtresse de le lui offrir une heure par jour et de l’admettre à le partager avec elle. Ainsi elle retrouverait Balleroy dans Paris. Par une naïve juxtaposition d’images, elle vit, au-dessus des fidèles et reposant sur un nuage de myrrhe, la chaumière de sa nourrice, l’arbre où elle avait souhaité d’être passereau, et la haie d’épine-vinette couronnée d’un linge éclatant. Le Christ apparaissait dans l’ormeau où il n’avait pourtant rien à cueillir. Il écartait du doigt une tunique pourpre et montrait un cœur embrasé.

Un léger ronflement rappela Raton à la réalité. Elle