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Page:Fleuret - Histoire de la bienheureuse Raton, fille de joie, 1931.djvu/64

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d’ailleurs, ils ne cesseraient de rappeler sa candeur ou d’en révéler les vestiges, afin de perpétuer leur ignoble triomphe. Il n’était pas dans sa nature de se plaindre. Et que ferait sa maîtresse ? Ses remontrances ne pourraient que les aigrir et les rendre plus ingénieux. Elle ne les chasserait pas pour une novice. Ils étaient assimilés aux calamités de la vie, dont un certain âge s’accommode en feignant de plaisanter. Ou bien, ils bénéficiaient de la tolérance dédaigneuse que l’on accorde aux brutes inférieures sans âme ni raison : l’on conserve un chien voleur, un âne rétif, un chat perfide et dissimulé. Ainsi M. le Duc prenait-il les choses… Mais les chasserait-on que de nouveaux venus ne se montreraient pas moins hostiles.

Telle était sa condition : il lui fallait tout accepter avec humilité, en considérant sa délicatesse comme une tare. Celui-ci boite, il faut qu’il marche ; celui-là n’y voit goutte, il faut qu’il travaille. Et Raton voyait des boiteux portant la besace ou la hotte, la faulx du moissonneur ou le filet du marin ; des savetiers dans leurs échoppes manier l’alène et le ligneul en collant sur la semelle leurs nez chaussés de lunettes.

Pourtant non, ce n’était pas sa destinée ! Que de professions s’ouvraient à elle ! Mais qui l’y pousserait, et n’étaient-elles pas plus ou moins serviles ? Ah ! se dit Raton, contemplant les médaillons rustiques de la chambre