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Page:Fleuret - Histoire de la bienheureuse Raton, fille de joie, 1931.djvu/65

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où elle s’était réfugiée, que ne suis-je demeurée dans mon village, je n’y connaissais point d’ennemis ! Pourquoi m’avoir vantée à M. le Chevalier, que je n’ai jamais vu, que je ne connais pas, et qui s’est mépris sur mes talents ?… Mais aussi, comment eussé-je refusé d’alléger l’indigence d’une vieille femme qui n’est pas ma mère, et qui m’a nourrie de ses travaux ? Sa mort, en me privant de sa tendresse, m’aurait bientôt réduite à l’état où je suis. On me dit belle : j’aurais pu trouver un épouseur. Cependant, qui m’aurait prise sans argent, sinon quelqu’un de ma condition ?… Et Raton se vit molestée par un rustre. Il faut, reprit-elle mentalement, que je ne sois pas pareille aux autres pour me refuser au destin qui m’est fait. On m’a trouvée, mais qui m’a perdue ou abandonnée ?… Quel était seulement mon petit nom, car je n’ai rien, pas même un nom !… Raton, pauvre Raton !… Et Raton se remit à pleurer, assise au bord du lit, la tête dans ses mains.

Ces réflexions ne lui étaient jamais venues à l’esprit. Dans son chagrin, elle s’étonna de ne plus se reconnaître. De son cœur en éclats sortait une fille nouvelle, déjà mûrie par la douleur d’un jour.

Quand Raton releva la tête elle ne sentit plus sa faiblesse. Elle était résolue à supporter ses peines, mais avec l’entêtement d’y échapper un jour. Comment, elle ne le