Aller au contenu

Page:Gabriel Ferry - Les aventures d'un Français au pays de Caciques, 1881.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les voix de nos compagnons, qui, soit par ignorance du danger soit pour s’étourdir, avaient pris le parti de chanter à tue-tête.

— Ne trouvez-vous pas, dis-je au moine, que cette gaieté a quelque chose d’irritant ? J’ai bien envie, en les avertissant du péril que nous courons tous, de faire changer leur chanson à boire en un De profundis.

– À quoi bon ? dit mélancoliquement le franciscain. Ne vaut-il pas mieux qu’ils ignorent le danger et que la mort les surprenne dans leur joyeuse insouciance ? En ce moment où les esprits des ténèbres semblent planer au-dessus de nous, la voix humaine a je ne sais quelle harmonie consolante. Tenez, j’avais refusé tantôt de vous raconter l’histoire de fray Epigmenio, réflexion faite, j’aime encore mieux entendre le son de ma propre voix que le sifflement du vent dans les sapins. Et puis j’y songe : c’est dans le couvent du Desierto, voisin de cette forêt, que s’est passée, précisément à l’époque de l’année où nous sommes, la partie la plus intéressante de la vie du révérend.

— Il est certain, dis-je, que cette circonstance devrait ajouter un intérêt particulier à votre récit ; mais en ce moment je me sens fort peu disposé à l’entendre. Cependant, s’il peut vous être agréable de raconter cette histoire, je…