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Page:Gabriel Ferry - Les aventures d'un Français au pays de Caciques, 1881.djvu/107

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« Fray Epigmenio, reprit le franciscain en m’interrompant, n’a jamais été, même dans sa jeunesse, qu’un assez triste compagnon. C’est vous dire qu’il ne me ressemblait en rien. Loin d’avoir voulu, comme moi, se faire soldat avant d’endosser le froc, il était entré bien jeune encore en qualité de novice au couvent des frères carmélites, surnommé le Désert. Au temps dont je parle, c’est-à-dire il y a cinquante ans, le Désert n’était pas abandonné comme aujourd’hui. C’était une retraite habitée par plusieurs religieux qui voulaient, en s’éloignant des villes, apporter dans la pratique de la règle un raffinement d’austérité. Vous devinez quelle influence cette solitude sauvage pouvait exercer sur un cerveau malade. Moi-même je ne répondrais pas de ma raison si je devais passer ma vie en pareil lieu. Les supérieurs du jeune novice s’alarmèrent bientôt de l’exaltation farouche qui avait pris chez lui la place d’une solide piété. Ils représentèrent à Epigmenio que le démon, jaloux de ses mérites, lui tendrait quelque piége où il succomberait. L’avertissement était sage ; Epigmenio n’écouta rien. Bien plus, il s’isola presque entièrement de ses frères, et s’enferma plus obstinément que jamais dans sa cellule, espèce de sombre cachot dont les fenêtres s’ouvraient sur le bois qui entoure le couvent. C’était la plus triste cellule de ce cloître, et fray Epigmenio l’avait choi-