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Page:Gabriel Ferry - Les aventures d'un Français au pays de Caciques, 1881.djvu/57

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moi, pour régaler mes amis j’ai bu et mangé ce que j’avais et ce que je n’ai pas : eh bien je suis content, quoique je ne possède plus un sou dans le monde, et, si vous le voulez bien, je vous joue le corps de mon enfant. C’est un enjeu, continua-t-il d’un air confidentiel, qui en vaut bien un autre, car je puis le louer encore, et bien cher, à quelque amateur de velorio.

– Jouer le corps de votre enfant ! m’écriai-je.

– Et pourquoi pas ? Cela se fait tous les jours. Tout le monde n’a pas le bonheur d’avoir un ange là-haut, et le corps de ce cher petit porte bonheur ici-bas.

Je me débarrassai comme je pus des obsessions d’un père aussi tendre pour reporter mes regards vers la rue ; mais les abords du canal étaient redevenus silencieux et déserts. Je ne tardai pas cependant à me convaincre que cette tranquillité et cette solitude n’étaient qu’apparentes ; des bruits vagues, des rumeurs indécises, s’échappaient par moments d’une des ruelles qui aboutissent au canal. Bientôt je crus entendre crier le gravier sous des pas mal assurés. Le corps penché en dehors du balcon, l’oreille au guet, j’attendais l’instant où ce redoutable silence allait être troublé par quelque cri d’angoisse. Des éclats de voix ramenèrent de nouveau mon attention vers la salle à laquelle je tournais le dos.