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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/299

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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

d’ailleurs n’était pas sobre, et les poètes du temps ne trempaient leurs lèvres à l’eau d’Hippocrène que métaphoriquement. On se souvient de la fameuse orgie d’Auteuil, ou Molière eut tant de peine à empêcher ses convives avinés d’aller faire un plongeon dans la Seine. La muse de la solitude et de la comtemplation l’a visité et lui a inspiré les stances les plus imagées, les plus rêveuses et les plus musicales que compte encore notre poésie, même après le grand renouvellement de 1830. L’effet de l’Ode à la solitude, à laquelle nous préférons peut-être l’Ode du contemplateur, fut immense ; jamais la description lyrique n’avait déployé de telles ressources de style, une semblable nouveauté de détails, une richesse si imprévue de rimes. Dans ces stances la nature était peinte directement, ad vivam, comme on disait autrefois, et sans travestissement mythologique. Saint-Amant, on peut le dire, se montre ici l’inventeur du paysage en vers, comme plus tard Jean-Jacques Rousseau fut l’inventeur du paysage en prose. Il introduisit dans l’art un élément nouveau ; car si l’on excepte quelques descriptions de printemps, tombées à l’état de lieu commun chez les rimeurs du moyen âge, et quelques fonds de verdure et de fleurs peints par Ronsard derrière ses figures, la nature, prise au sens moderne, est complètement absente de l’œuvre de nos poètes. Le spectacle des choses ne semblait pas frapper leurs yeux ; ils n’apercevaient l’univers