Aller au contenu

Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
295
SAINT-AMANT.

qu’à travers les anciens et vivaient dans un monde d’abstractions. Nous parlons surtout de l’école qui suivit les préceptes de Malherbe, car celle qui relevait de Ronsard et qui succomba était loin de cette sécheresse ; elle avait parfois de la vérité et de la fraîcheur, mais non cette continuité de ton et cette sûreté de pinceau qui distinguent Saint-Amant.]

Le nombre est une des qualités de notre poète ; son vers retentit et sonne comme un timbre ou comme une pièce d’or sans paille sur un marbre ; il avait l’oreille musicale et pour cause, car il jouait du luth, non pas en amateur, mais en virtuose, et quand il parle de son luth, ce n’est pas une simple figure de poésie ; ce don est rare chez les versificateurs français, peu musiciens de leur nature.

À l’élément descriptif Saint-Amant joignait l’élément grotesque dont plus tard les imitateurs de Scarron firent un si triste et si ennuyeux abus ; ce n’était pas chez lui l’amour des pasquinades, des équivoques et des plaisanteries plus ou moins grossières, mais un sentiment pittoresque assez semblable à celui de Jan Steen, des Ostade, des Teniers et des Callot. Il a fait en ce genre de merveilleux petits tableaux devant lesquels Louis XIV eût pu dire, comme devant ceux des peintres flamands « Emportez ces magots ; » mais ces magots, que l’art a touchés, vivent d’une vie plus intime et plus profonde que la plupart des