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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/315

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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

fille du docteur, et languit dans la solitude. L’amour essaye en vain de s’acclimater à cette atmosphère, hors de laquelle elle ne saurait vivre.

Nous n’avons jamais lu les Fleurs du mal de M. Ch. Baudelaire sans penser involontairement à ce conte de Hawthorne ; elles ont ces couleurs sombres et métalliques, ces frondaisons vert-de-grisées et ces odeurs qui portent à la tête. Sa muse ressemble à la fille du docteur qu’aucun poison ne saurait atteindre, mais dont le teint, par sa matité exsangue, trahit t’influence du milieu qu’elle habite.

En ce siècle de tartuferie américaine, on a si bien l’habitude de confondre l’auteur avec son œuvre, d’appeler ivrogne celui qui parle du vin, sanguinaire celui qui raconte un meurtre, débauché celui qui peint la passion ou le vice, athée celui qui fait la biographie d’un incrédule, que nous trouvons nécessaire, après ce rapprochement, d’affirmer, avec tout le sérieux dont nous sommes capable, l’innocuité parfaite de M. Ch. Baudelaire. Notre ami n’est pas du tout un empoisonneur ; il fait de la poésie et non de la toxicologie, quoi qu’en ait dit un trop spirituel académicien. Si quelqu’un de ses lecteurs mourait par hasard, on pourrait l’ouvrir ; l’appareil de Marsh n’y découvrirait pas le plus imperceptible atome arsenical. Nous avons nous-même survécu à la lecture des Fleurs du mal.

Il faut d’ailleurs rendre cette justice à M. Baude-