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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/316

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CHARLES BAUDELAIRE.

laire il ne trompe personne et ne met pas de fausses étiquettes aux plantes dangereuses ; il ne donne pas le pavot pour une rose et le colchique pour une pervenche ; et même, ne prévînt-il pas, depuis quand la peinture d’un cryptogame vénéneux a-t-elle donné la colique ?

Le poète des Fleurs du mal ne donne pas dans le travers du siècle à propos de l’humanitairerie et de la progressivité. Il ne pense pas que l’homme soit né bon, et il ne le croit guère perfectible. Il admet au contraire, avec Edgar Poe, ta perversité comme élément constitutif de notre nature. Par perversité il faut entendre cet instinct étrange qui nous pousse, en dépit de notre raison, à des actes absurdes, nuisibles et dangereux, sans autre motif que « cela ne se doit pas. » À quel ressort secret faut-il attribuer l’aveu tout à fait gratuit d’une chose honteuse et criminelle, la paresse inéluctable au moment de l’action suprême, la continuation d’une habitude souvent désagréable et qu’on sait mortelle, la recherche des hauts lieux et des abîmes pour leur vertige et leur attirance, la fureur destructrice qui vous fait vous acharner contre votre fortune ou votre bonheur, les goûts ridicules et les dépravations maniaques en dehors de toute excitation sensuelle qui les expliqueraient sans les justifier ? À la perversité native qui a retenu ce que le serpent lui chuchotait à l’oreille, aux premiers jours du monde.