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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/317

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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

On aurait tort de s’imaginer que M. Baudelaire, tout en peignant les difformités physiques et morales de la nature humaine, ayant pour milieu une civilisation extrême, ait la moindre complaisance à leur endroit. Il les renie comme des infractions au rythme universel. Impitoyable pour les autres, il se juge non moins sévèrement lui-même. Il dit avec un mâle courage ses erreurs, ses défaillances, ses délires, ses perversités, sans ménager l’hypocrisie du lecteur atteint en secret de vices tout pareils. Le dégoût et l’horreur des monstruosités modernes le jettent dans un spleen à faire paraître le sépulcral Young d’une gaieté folâtre mais plus la laideur des visages stigmatisés par les fatigues de la vie, hâves de débauche, convulsés de névroses, l’obsède, l’irrite et le révolte, plus il s’élève vers l’idéal d’une aile hâtée et puissante dans la sérénité des régions lumineuses, au paradis des rêves, où le beau resplendit avec son impeccable perfection.

Quoiqu’il aime Paris comme l’aimait Balzac, qu’il en suive, cherchant des rimes, les ruelles les plus sinistrement mystérieuses, à l’heure ou tes reflets des lumières changent les flaques de la pluie en mares de sang et où la lune roule sur les anfractuosités des toits noirs, comme un vieux crâne d’ivoire jaune, qu’il s’arrête parfois aux vitres enfumées des bouges, écoutant le chant rauque de l’ivrogne et le rire strident de la prostituée, ou sous la fenêtre de l’hôpital,