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Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/41

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a des appétits et des soifs qui vous font trouver bonne la médiocre ratatouille et aimable le ginglet de l’endroit. Chacun paye son écot de bonne humeur. Les femmes mouillent leurs bottines dans l’herbe sans grogner. Murger semble rasséréné comme en une convalescence d’absinthe. On promène une gaieté vaudevillière par toute la forêt, même en ce Bas-Bréau, où nos fumisteries semblent faire fuir dans la profondeur de la feuillée des dos de peintres chenus, ressemblant à des dos de vieux druides. On essaye des parties de billard sur un sabot de l’auberge où il y a des ornières qui font des carambolages forcés. Palizzi, les grands jours, revêt un tablier de cuisine et fricote un gigot à la juive, dont il reste à peine l’os.

La nuit, pendant que les esquisses du jour sèchent, on dort comme si on revenait de la charrue, et un matin j’entends la maîtresse de Murger, au milieu d’un doux transport, lui demander ce que rapporte la feuille de la Revue des Deux Mondes.

— Le travail et les femmes, voilà ma vie ! — C’est Gavarni qui parle.

Août 1852. — Je trouve Janin toujours gai, toujours épanoui, en dépit de la goutte à un pied. « Quand on vint guillotiner mon grand-père, nous dit-il, il avait la goutte aux deux pieds… du reste, je ne me plains pas… c’est, dit-on, un brevet de vie pour dix ans… Je n’ai jamais été malade et ce qui con-