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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/272

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et pendant que les obus tuent à la hauteur de l’Arc de l’Étoile, de l’air le plus tranquille, le plus heureux du monde, des hommes, des femmes boivent des bocks, en entendant chanter des chansons de Thérésa, par une vieille violoniste.

Alors défilent, précédés de nombreux nationaux, les corbillards aux drapeaux rouges, et derrière eux, marche en grandes bottes, en vareuse noire, en écharpe sang de bœuf, Vallès, que j’avais reconnu à l’ambulance, et dont j’avais évité, dans le moment, la poignée de main, dissimulé derrière un lit, — Vallès, soucieux, engraissé, jaune comme un morceau de lard rance.

Rentré, un instant, à Auteuil, la furie de la canonnade qui continue, me jette, à la sortie du spectacle d’horreur de la journée, dans une profonde tristesse, sur le sort de ces brutes.

Ce soir des ébauches de barricades sur la place de la Concorde.

Rue neuve du Luxembourg, un garde national disant à une portière : « Mais si cet homme est suspect, il faut l’emballer, et je vais le faire emballer, moi ! ».

Sur le boulevard, du monde, quelques jeunes gens. Il semble que l’insuccès de la journée fasse ressortir des cachettes, un peu de Paris.

Lundi 10 avril. — En cette durée de la lutte, et dans le rien, qui peut donner la victoire à l’un ou à