Aller au contenu

Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/378

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Le lendemain, à quatre heures et demie du matin, on leur criait de rouler leurs couvertures, et d’ôter leurs souliers, et alors une inondation générale, qui laissait le plancher mouillé jusqu’à dix heures.

— « Diable, lui dis-je, que vous avez dû souffrir ! »

— « Eh bien, non, répond-il, je ne connais plus le froid aux pieds. Des asthmatiques se sont guéris, et Olready qui crachait le sang, en arrivant, va beaucoup mieux. Il y a eu des morts par la dysenterie, par l’albuminurie, par le scorbut, mais personne n’est mort de la poitrine. »

« Mon cher, reprend-il, le curieux, c’est qu’au bout de trois jours, au milieu de ces hommes dépiotés de tout en entrant, il y avait des jeux de dames faits avec des mouchoirs, où l’on avait noirci des carreaux noirs, et avec des rondelles de drap de deux couleurs ; il y avait des jeux de jonchets, faits avec des brindilles de balais ; il y avait des jeux de jacquet, avec des dés en savon ; il y avait des jeux de dominos, faits avec je ne sais quoi, et quand on nous a donné de la viande, il s’est trouvé des artistes qui ont fabriqué, avec les os, des couteaux, des couteaux qui se fermaient avec un système de ressort, en ficelle tressée, qui était un chef-d’œuvre… enfin, figure-toi qu’à la fin, de ces cordes avec lesquelles on essuie le pont, et qu’on volait, tout le monde avait des pantoufles, des calottes en ficelle. »

« Nous avons passé trois mois dans la batterie, sans monter sur le pont, trois mois, où, sauf la première semaine, où l’on nous a donné deux fois du