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Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/380

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mes timbres j’ai pu acheter une feuille de papier, qu’on m’a vendue quinze sous, et un crayon Cacheux d’un sou, payé vingt-deux sous… et avec cela j’ai exécuté mon premier portrait qui a eu un succès énorme, en sorte que j’en ai fabriqué soixante-sept à deux francs, — ce qui a fait de moi, de moi, c’est risible, une espèce de banquier pour tout le monde. »

« Le dur, je te l’ai dit, a duré trois mois, trois mois où il y avait une telle vermine dans le trou où nous étions quatre cent trente, que nous étions obligés d’épouiller les vieux, pour qu’ils ne soient pas complètement mangés. »

« Donc, au bout des trois mois, on nous a permis de nous promener sur le pont, on nous a donné de la viande, on nous a même donné du vin, et quoiqu’on ne nous en donnât qu’un décilitre, cela grisait tout le monde, ce qui était parfois embêtant, vu les quatre bouches de mitrailleuses, que nous avions à l’avant et à l’arrière, et qu’on avait la galanterie de nettoyer devant nous et de recharger tous les dimanches. »

« Mes portraits faisaient rage. Ne voilà-t-il pas le commandant qui a envie d’avoir le sien ! Je fais son portrait. Je fais le portrait de sa femme, d’après un daguerréotype. Ma position change. On me donne une cabine sur le pont. J’ai la permission de travailler. Les sergents me traitent avec respect. Enfin, un jour, mon brave homme de commandant, qui, je crois, avait manigancé en dessous, me dit : “Ça y est !” et me tend mon fiche-mon-camp. »