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Page:Gorki - Contes d Italie.djvu/49

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LE NAUFRAGÉ

quand les montagnes noires du rivage devinrent visibles, tout se déroula avec une rapidité inconcevable. Elles se mouvaient en chancelant au-devant de nous, elles se penchaient sur l’eau, prêtes à s’écrouler sur nos têtes, d’une seconde à l’autre, et les vagues blanches jetaient nos corps à leurs pieds ; notre barque craqua, comme une noix sous le talon d’une botte ; je fus précipité dans les flots ; je vis les arêtes déchiquetées des rochers pointus pareils à des lames ; je vis la tête de mon père très haut au-dessus de moi, puis au-dessus de ces griffes diaboliques.

On le retira de l’eau deux heures plus tard, l’épine dorsale fracturée et le crâne ouvert jusqu’au cerveau. La plaie qu’il portait à la tête était immense ; une partie de la matière cérébrale avait été emportée par l’eau, mais je revois encore les fragments grisâtres aux veinules rouges qui étaient restés dans la blessure : on eût dit du porphyre ou de l’écume mêlée de sang. Quant au corps, il était effroyablement déchiqueté ;