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Page:Haeckel - Religion et Évolution, trad. Bos, 1907.djvu/23

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dans leur base les mythes universellement admis au sujet de la création — en particulier la version mosaïque de la Bible. Aussi, lorsque Napoléon Ier demandait à Laplace, son ministre de l’intérieur, fait par lui comte et président du Sénat : « Où donc, dans votre système, reste-t-il place pour Dieu ? », son interlocuteur se montrait-il franc et conséquent avec lui-même en répondant simplement : « Sire, je n’ai pas besoin de cette hypothèse que rien ne justifie. » (Comme il y a parfois d’étranges ministres[1] !) La clairvoyance de l’Église catholique eut naturellement bientôt fait de reconnaître que cette théorie moniste du développement cosmique, désormais partout admise, détrônait le créateur personnel et détruisait le mythe de la création ; mais elle se comporta, au contraire, comme elle avait fait deux ans plus tôt vis-à-vis de l’invincible système de Copernic, étroitement lié aux doctrines du jour ; elle chercha autant que possible à taire la vérité, ou à la combattre avec les méthodes jésuitiques connues, et enfin à se tenir prête. Si, de nos jours, l’Église souveraine tolère en silence le système de Copernic et la Cosmogonie de Laplace, si elle ne les combat plus, c’est en partie parce qu’elle a le sentiment de son impuissance intellectuelle, en partie parce qu’elle présume avec raison que les masses stupides ne réfléchissent guère sur de si graves sujets.

Pour se faire une idée nette et une opinion arrêtée au sujet de ce développement cosmique suivant les lois naturelles, au sujet de « l’apparition et de la disparition » de millions de soleils et d’étoiles, il est nécessaire de posséder non seulement certaines connaissances astro-

  1. Laplace et le Monisme. — La presse orthodoxe s’est récemment efforcée de nier la célèbre « profession athéiste » du grand Laplace, qui n’est cependant que la conséquence loyale de son génial « système du monde » ; des publicistes ont été jusqu’à prétendre que ce philosophe moniste avait, à son lit de mort, fait une profession de foi catholique ; à l’appui de cette assertion, on invoque le témoignage d’un prêtre ultramontain. Il est inutile de discuter au sujet de l’amour de la vérité qui anime de pareils fanatiques « serviteurs de Dieu ». L’Église tient les faux témoignages de ce genre, pourvu qu’ils aient pour but « l’honneur de Dieu » (c’est-à-dire son propre avantage), pour des œuvres pies (pia fraus). Par contre, il est intéressant de rappeler ce que répondit, il y a cent vingt ans, un ministre des cultes prussien, M. de Zedlitz, au consistoire de Breslau, qui lui représentait que « le meilleur sujet était celui qui croyait le plus » ; Zedlitz écrivit : « Sa Majesté (Frédéric le Grand) n’est pas disposée à faire reposer la sûreté de l’État sur la bêtise des sujets ». Cf. l’excellente conférence du Dr J. Unold : Devoirs et fins de la vie humaine, (Collection Teubner, Leipzig, 12 fascicules, p. 6). À ce libéral Ch. de Zedlitz, qui cherchait à favoriser la liberté de la pensée dans l’enseignement des écoles prussiennes, s’oppose, comme un triste antipode, le ministre actuel des cultes Robert de Zedlitz, qui en 1891, présenta, au Landtag prussien, la loi conservatrice et ultramontaine sur les « Écoles populaires ». Cette loi, qui mérite d’être flétrie, tendait à soustraire les écoles populaires à la pédagogie scientifique, pour les livrer à la hiérarchie papiste ; elle souleva une opposition si générale de l’opinion publique, qu’il fallut la retirer. Cf. ma brochure sur Les vues philosophiques sous leur aspect le plus récent, (liv. II des Conférences populaires, p. 327).