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Page:Ingres d’après une correspondance inédite, éd. d’Agen, 1909.djvu/309

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reprenions nos bonnes petites soirées de musique. Cela me rappelle noire bon, digne et illustre Baillot que j’aurai tant de joie à revoir, ainsi que d’autres de nos amis que je n’ai point oubliés ; dites-le leur bien.

Vous parlez en trop bons termes de M. Reber pour que je n’en présume pas beaucoup de bien, sachant de longue date la conformité de nos goûts. Ah ! mon cher ami, je vous reviens, à cet égard, comme j’en suis parti, toujours avec les mêmes adorations et les mêmes exclusions, mettant Raphaël au-dessus de tout, parce qu’à sa grâce divine il joint tout juste le degré de caractère et de force qu’il faut, ne dépassant jamais la mesure. Qui mettre au même rang que lui ? Personne, si ce n’est celui qui, en musique, a eu la même âme, mon divin Mozart : tous deux, sages et grands, comme Dieu même. Mais, quoique prosterné devant leurs autels, je ne néglige pas pour cela d’en encenser bien d’autres pour lesquels, je le sais, vous avez les mêmes adorations ; je veux dire Gluck, Beethoven, et le si charmant Haydn, que nous feuilleterons de nouveau, à mon retour à Paris.

J’éprouve un tel plaisir à laisser courir ma plume sur des sujets que je sais que vous n’aimez pas moins que moi, que j’en ai les larmes aux yeux et un tremblement de bonheur que je ne puis décrire. Et ma femme dit que je vais avoir soixante ans ! C’est possible, mais je n’ai jamais senti mon âme si jeune. Non, jamais je n’ai plus aimé ce beau qui rend si heureux, si content de vivre, même au milieu de ce monde empesté. Car le contact de ce monde ne peut nous ôter, à nous privilégiés, la joie de ces communications sympathiques qui sont la volupté secrète que procure l’amour de l’art.

Mes deux bras se tendent vers vous, mon cher Varcollier. Bientôt, je pourrai vous dire, de vive voix,