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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/123

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— Vous le garderiez, s’écria Espérat ?

— Aussi longtemps qu’il faudrait. Ch’ai des caves très pien tisposées.

— Eh bien, Bobèche, eh bien, Henry, qu’en dites vous ?

Les interpellés inclinèrent la tête :

— Ce serait une solution.

Le visage de Frantz Brummen s’épanouit :

Fous acceptez ?

— Certes, mon brave camarade.

— Alors, achevez de tîner, et nous trinquerons à notre général, avec une ponne pouteille te mousseux du Rhin. À la santé du petit tondu[1].

L’ancien grenadier exultait.

Durant le reste du repas, il se multiplia, servant ses hôtes, changeant les assiettes, se substituant à ses garçons d’auberge. Certes, ceux-ci durent croire que les dîneurs étaient de bien puissants personnages pour que l’hôtelier daignât se déranger à ce point.

Puis le vin mousseux du Rhin fit son apparition. Son or liquide pétilla dans les verres, et tous, les yeux brillants, une teinte plus rose aux joues, burent à l’exilé.

Comme ils achevaient, le galop d’un cheval retentit au dehors ; une voix sèche, mordante, arriva jusqu’aux compagnons de l’hôtelier.

— Holà… ho ! Que l’on conduise mon cheval à l’écurie, et que l’on me serve à dîner.

Tous se regardèrent :

— C’est lui, murmura Milhuitcent.

Celui gue fous attendez, ajouta Frantz.

— Oui.

— Alors, laissez-moi vaire. Avant une temi heure, che lui aurai montré ce gue pèse un émigré entre les mains d’un grenadier de la garde.

L’aubergiste n’avait pas fait une promesse téméraire.

La demi-heure n’était point écoulée que d’Artin, anéanti par le laudanum adroitement mélangé à sa boisson, dormait à poings fermés dans la salle basse où son dîner lui avait été servi.

Alors l’ancien grenadier alla chercher ses hôtes.

Fenez, leur dit-il.

  1. Appellation familière par laquelle les vétérans désignaient l’Empereur.