Aller au contenu

Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
290
NAPOLÉON

temps d’avancer, il ne désespère pas encore de disloquer l’alliance de la Prusse et de la Russie, et, de son camp impérial de Halle, il écrit à Frédéric-Guillaume : « Ce sera un éternel sujet de regret pour moi que deux nations qui, pour tant de raisons, devaient être amies, aient été entraînées dans une lutte aussi peu motivée… Je dois réitérer à Votre Majesté que je verrai avec satisfaction les moyens de rétablir, si cela est possible, l’ancienne confiance qui régnait entre nous. » Mais quand Napoléon, jugeant que l’armée prussienne « a existé » et que sa propre position militaire est assez sûre, accorde l’armistice, c’est Frédéric‑Guillaume, montrant bien qu’il compte sur l’arrivée des Russes, qui refuse de le ratifier.

Dix jours après Iéna, l’empereur est à Potsdam, à Sans-Souci, chez le grand Frédéric. Une des plus belles heures de Bonaparte, et, pour un homme du XVIIIe siècle, son siècle, à qui le roi de Prusse, soldat, législateur, philosophe, avait semblé le héros parfait, une destinée qui passait l’espérance. Dans l’imagination des peuples, c’est pourtant lui qui prendra la place de ce Frédéric dont l’épée fut son trophée le plus glorieux et dont il emportera le réveille‑matin à Sainte-Hélène. Et dans le XVIIe bulletin de la Grande Armée, c’est au pays de Voltaire et à l’Europe éclairée qu’il s’adresse quand, évoquant le serment d’alliance, en quelque sorte impie, de Frédéric‑Guillaume et d’Alexandre dans le caveau de Potsdam, il trace ces phrases, étranges si l’on ne tient compte de la persistance du culte frédéricien chez les Français : « L’ombre du grand Frédéric n’a pu que s’indigner… Son génie, son esprit et ses vœux étaient avec la nation qu’il a tant estimée et dont il disait que s’il en était roi, il ne se tirerait pas un coup de canon en Europe sans sa permission. »

Napoléon a envoyé aux Invalides l’épée glorieuse et symbolique. Il est chez lui à Potsdam comme il