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Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/697

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caisse, et j’y trouvai, avec la suite du manuscrit de l’Empire knouto-germanique (suite que j’avais déjà eue entre les mains au printemps de 1871 et que Bakounine m’avait reprise en retournant à Locarno le 30 mai : voir t. II, p. 160), quantité de papiers formant un véritable chaos, et qu’il était très difficile de classer. Je remis alors ce travail à un temps où j’aurais quelque loisir. Il fallait d’ailleurs, avant tout, songer à réunir les ressources nécessaires à l’impression d’un volume ; et l’état de nos finances ne faisait guère prévoir la possibilité d’y réussir ; un émigré russe, Elpidine, ouvrit une souscription à Genève, et recueillit une somme de 71 fr. ; ce fut tout. Lorsque mon projet d’aller habiter Paris eut pris de la consistance, et que je vis approcher le moment de l’exécuter, je songeai à remettre entre des mains sûres la précieuse caisse de manuscrits, et je m’adressai à Élisée Reclus[1] : il accepta d’en recevoir le dépôt, et ce fut Kraftchinsky, tout récemment sorti de la prison de Santa Maria Capua Vetere à la suite de l’amnistie, et provisoirement en séjour à Genève ou dans les environs, qui vint à Neuchâtel, en mars ou avril, prendre chez moi la petite caisse pour la transporter chez Reclus.

J’ai dit (p. 293) que j’avais écrit un article pour la revue du Dr Wiede, die Neue Gesellschaft. J’étudiais, au cours de l’hiver 1877-1878, les détails de la conspiration de Babeuf et du procès de Vendôme ; mais je n’avais d’autres sources à ma disposition que le Moniteur, et l’ouvrage de Ph. Buonarroti (j’avais acheté, de rencontre, un exemplaire de l’édition originale). J’eusse désiré, une fois à Paris, consulter aux Archives d’autres documents, et, si possible, écrire une histoire complète de cet intéressant épisode révolutionnaire (c’est un projet que d’autres travaux m’ont fait abandonner). En attendant, je rédigeai un court résumé de ce que je savais, et ce résumé, traduit en allemand, parut dans les numéros de mai et de juin 1878 de la Neue Gesellschaft.

Costa était toujours à Paris, où, après sa journée de travail (il avait trouvé une occupation comme garçon de magasin), il faisait de la propagande dans quelques milieux ouvriers. Mais ses allures l’avaient fait remarquer, on le surveillait, et son exubérance pouvait devenir compromettante non seulement pour lui, mais pour ceux qu’il fréquentait. De Paris, on écrivit au Comité de la Fédération française pour se plaindre ; Pindy et Brousse exhortèrent, par lettres, Costa à plus de prudence ; et, comme ils n’obtenaient rien, ils me demandèrent d’intervenir ; j’écrivis donc à mon tour à Costa pour lui donner les mêmes conseils. Mais la conduite inconsidérée de Costa avait déjà produit les résultats que nous redoutions : le 22 mars au matin, il était arrêté, et en même temps que lui on emprisonnait un certain nombre de membres de l’Internationale parisienne[2]. Outre le mal que firent ces arrestations, en désorganisant les groupes de propagandistes, il y avait là, pour moi personnellement, un fâcheux contretemps : car si ma lettre à Costa avait été saisie chez lui, j’allais me trouvé mêlé à son procès, et il eût été fort imprudent de me rendre à Paris dans ces conditions. Or, justement, j’avais compté partir au commencement d’avril ; et au dernier moment, je me voyais forcé d’ajourner l’exécution de mon projet. J’écrivis à Levachof (Pierre Kropotkine) — qui, au commencement de l’hiver, avait transporté sa résidence de Londres à Paris — pour lui demander conseil et le prier de se renseigner, si possible, auprès de l’avocat de Costa ; mais Pierre lui-même se trouvait dans une situation périlleuse : « Je n’échappai à une arrestation, a-t-il écrit dans ses Mémoires, que grâce à un quiproquo. La police cherchait Levachof, et elle alla arrêter un étudiant russe dont le nom ressemblait beaucoup à celui-là ; tandis que moi, qui avais donné mon vrai nom de Kropotkine, je pus continuera rester à Paris encore quelque

  1. Élisée Reclus m’avait rendu plusieurs fois visite dans le courant de 1877 ; je trouve dans un agenda de l’année ces notes ; « Dimanche 4 mars. Visite d’Élisée Reclus. » — « Dimanche 2 décembre. Visite d’Élisée Reclus et de ses filles. » — « Mardi, 18 décembre. Visite de Reclus à son retour de Cologne. »
  2. Angiolini, dans son livre Cinquant’anni di socialismo in Italia, dit que la police française arrêta également Zanardelli et Nabruzzi, qui se trouvaient à ce moment à Paris. J’ignore si le fait est exact.