Aller au contenu

Page:Jean Tarnowski - Ukraine et Galicie.pdf/4

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’hui les gouvernements de Poltava et de Tchernigov, ces hommes, après qu’on avait passé l’éponge sur leurs antécédents, recevaient des concessions territoriales en échange desquelles, ils devaient défendre les confins de la République contre les incursions des Tartares.

Ces Cosaques rendaient de grands services à la Pologne, mais ils lui causaient aussi de grands soucis. De nature aventureuse et n’ayant aucun respect des traités, tandis que la Pologne était en paix avec la Turquie, les Cosaques descendaient le Dnieper dans leurs pirogues, nommées « Tchaiki », et allaient dans la Mer Noire s’attaquer au commerce ottoman, poussant quelquefois jusqu’à Constantinople. Ces expéditions hardies et souvent très glorieuses, avaient cet inconvénient d’attirer à la Pologne des ennuis avec la Porte, et se terminaient d’habitude par une invasion turque ou tartare des territoires de la République. La Turquie, pour se venger des Cosaques, soutenait les Tartares contre la Pologne.

Quand le danger tartare diminua d’intensité, les colons commencèrent à affluer en plus grand nombre, et c’est alors que prirent naissance les mouvements cosaques, qui, au début, n’avaient rien de politique. C’étaient des mouvements agraires, qu’on appellerait aujourd’hui « bolcheviks ». Les Cosaques s’opposaient à une colonisation intensive de ce pays, voulant garder toutes les terres pour eux. Sous les ordres de Chmielnicki, ils s’en prenaient non seulement aux grands propriétaires fonciers, mais ils massacraient les paysans polonais ou ruthènes, pour s’emparer de leurs terres. Ces mouvements eussent été facilement réprimés au début, si la Pologne avait eu des troupes régulières en nombre. Mais ces troupes faisant défaut, les opérations traînaient et l’incendie s’étendait de plus en plus, comme le fait aujourd’hui le bolchevisme, et comme ont traîné jusqu’ici, pour la même raison, par manque de troupes, les opérations contre les Bolcheviks.

Quant à Chmielnicki, il n’était ni Cosaque ni Ukrainien. C’était un gentilhomme polonais d’esprit aventureux, et de peu de scrupules, comme il peut y en avoir partout, et comme il n’en manquait nulle part à ce moment. Il n’hésita pas à trahir sa patrie pour des raisons personnelles. S’étant pris de querelle, pour des affaires de femme, avec un autre gentilhomme, Czaplinski, qui avait de grandes terres en Ukraine, pour se venger de lui, il se mit à la tête des Cosaques, afin de ravager avec leur aide, les propriétés de son rival. Après avoir assouvi sa vengeance, il resta chef des Cosaques, par ambition. Il espérait que le roi de Pologne, fatigué de ces troubles, entrerait en compromis avec lui et lui accorderait le titre de duc de Kiev, qu’il convoitait, en échange de quoi il se serait tourné contre les Cosaques avec un corps d’élite qu’il s’était formé et les aurait exterminés, comme le furent un jour les janissaires à Constantinople, et au Caire les Mameloucks. Déçu dans ses espérances, le titre de hetman ne lui suffisant pas, Chmielnicki se tourna vers Moscou. Le tsar lui promit tout ce qu’il voulut, mais à peine s’était-il soumis à la Russie, que le tsar oublia ses promesses. Et Chmielnicki mourut de chagrin d’avoir trahi sa patrie, sans en retirer aucun avantage ni pour lui, ni pour l’Ukraine, où les Tsars introduisirent le servage.

Toute la question ukrainienne est là. Elle se renouvelle aujourd’hui dans les mêmes conditions que jadis. Les insurgés ukrainiens, qui se soulèvent contre Denikine, ce sont les partisans du fameux Mazeppa, s’insurgeant contre la Russie qui introduisait le servage en Ukraine. Ces insurgés représentent la population qui ne veut pas être rattachée à la Russie, serait-elle tsariste ou républicaine, unitaire ou fédéraliste. Après l’expérience de Bohdan Chmielnicki, en 1654, toute confiance en la foi de la parole moscovite a disparu dans ce pays. Quant aux différents chefs de bandes qui ravagent cette contrée, et dans chacun s’arroge le titre de hetman, — certains d’entre eux prennent le nom d’anciens chefs connus, comme celui de Mazeppa, attaman des Cosaques, ou de Zelezniak, chef de « Hajdamaks », — ils poursuivent tous le même but : arriver au pouvoir dans un intérêt personnel. Et voilà pourquoi on les voit pactiser tantôt avec les uns, tantôt avec les autres, ou se battre entre eux. Ce sont des Chmielnicki en herbe, prêts à se soumettre à celui qui offrira davantage, et pour obtenir le plus, ils font chanter tout le monde. Ils finiront, si l’on n’y met ordre, par ruiner cette magnifique contrée et la livrer aux Bolchevicks, comme Chmielnicki l’a livrée au Tsar de Moscou. Tandis qu’en union avec la Pologne, ce pays serait soustrait à ce danger, pourrait se développer normalement, ce qui est dans l’intérêt de tous ; et il jouirait des mêmes libertés, dont il jouissait anciennement en union avec la République de Pologne, et dont l’a privé la soumission de Chmielnicki à la Russie.

2. — La Galicie, ou plutôt la partie de la Galicie dont veut parler l’auteur, la Galicie orientale, formait une partie de la contrée nommée Ruthénie Rouge (Czerwinsk), qui à son tour faisait, jusqu’à la fin du dixième siècle, partie intégrale de la Pologne, dont elle fut séparée par Vladimir le Grand, le même dont parle l’auteur et dont il se réclame avec aussi peu de raison que le font les Russes. Vladimir et son fils Jaroslav n’étaient ni Russes ni Ukrainiens, la Russie et l’Ukraine n’existant pas à ce moment-là. Vladimir était un Scandinave, descendant de Ruryk, prince Varègue, venu de la Scandinavie à la conquête du monde slave, et qui, en commençant par Nowgorod-la-Grande, dont les habitants lui ouvrirent imprudemment les portes, s’empara de toute la Ruthénie du Nord. Le Sud fut conquis par ses descen-