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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/559

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LA GRÂCE


il y a trois jours, mais m’assura qu’il les persuaderait. Victor Simond, qui survint vers la fin de l’entretien, lui promit le concours de ses amis et m’accompagna au ministère.

Au premier mot que je dis à Waldeck-Rousseau, son visage s’éclaira. Malgré mon article du matin et la formule : « Il faut dégager l’honneur de la France » qui l’avait frappé, il ne s’attendait point à tant de sagesse. Il nous dit aussitôt qu’il était décidé, pour sa part, à la grâce, mais que, cependant, il prévoyait des difficultés, Loubet inquiet, l’armée qu’il fallait préparer à ce désaveu des juges de Rennes ; ne pourrait-on pas attendre quelques semaines ?

Je me récriai vivement : « Dans un mois, la grâce ne sera qu’une mesure de pitié. Il faut que la grâce d’un tel innocent ait une autre signification. Je ne vous demande pas la grâce, mais la grâce immédiate. Toute la vertu de la mesure est là, dans la réponse immédiate du gouvernement de la République au conseil de guerre. Hier encore, en Angleterre, en Suisse, en Norvège, jusqu’en Amérique, les manifestations hostiles, injurieuses, se sont renouvelées. Il faut agir sans retard, déchirer tout de suite, au nom de la France, ce jugement qui la déshonorerait si elle l’acceptait. »

Il résista encore quelque temps, puis consentit, s’engagea, et nous remercia d’un mot simple, comme il savait le faire, douloureux comme ces jours troublés et le grand acte qui allait s’accomplir.

Les autres ministres, qu’il vit lui-même ou qu’il nous pria de voir, se rangèrent à son avis, la plupart avec empressement, deux ou trois, parce que la grâce les engageait directement, après un peu de défense. Galliffet, avec l’arrière-pensée de l’amnistie, fut aussi chaud pour la grâce qu’il avait été opposé au pourvoi