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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/573

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LA GRÂCE


rapport sur l’état de santé du prisonnier, et que sénateurs et députés républicains, Brisson en tête, se succédaient chez Loubet pour le presser. Loubet leur dit qu’il était résolu à gracier l’innocent, mais qu’il faudrait aussi amnistier les coupables. Cependant il n’en fit pas une condition. Presque tous inclinaient déjà à l’amnistie, surtout par lassitude.

Un député radical, Codet, réclama, dans une lettre publique, la convocation des Chambres, tant il avait hâte de déposer une proposition d’amnistie[1]. Galliffet, de son côté, écrivit à Waldeck-Rousseau : « J’ai recueilli l’impression de beaucoup de mes camarades de l’armée… Aujourd’hui que tout le monde s’est incliné devant le verdict du conseil de guerre, chacun est envahi par la pitié… » Cependant la grâce « en faveur du condamné Dreyfus ne serait pas comprise de tous, s’il n’était pas résolu, en principe, de mettre pour toujours hors de cause les officiers généraux ou autres qui ont été mêlés à cette malheureuse affaire ; il faut leur ouvrir les portes de l’oubli[2]. » Mais ni Mathieu ni moi ne fûmes avisés de cette rançon.

Des deux côtés, les journaux parlèrent tout de suite de la grâce comme d’un fait acquis, les plus enragés des nationalistes et des antisémites protestant à peine, pour la forme. Ils sentaient la fragilité de leur victoire. Leur amour-propre sauf, Mercier et les généraux sauvés, ils n’avaient plus aucun intérêt à prolonger la guerre.

Rien de moins exact que cette rhétorique de Clemenceau : « Nous plions sous le soldat qui voit dans la vérité, dans la justice, des insurgés ; nous sommes aux

  1. 14 septembre 1899.
  2. Voir Appendice IV.