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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/80

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


qu’ils procéderaient tous deux, avec Cuignet, dans le cabinet du premier Président, à une nouvelle traduction du décalque, et que cette traduction, quelque résultat qu’elle donnât, serait tenue pour définitive.

Cela était fort sensé et, dès lors, ne faisait pas du tout les affaires de Cuignet, dont le cerveau fumait plus que jamais. Sa loyauté d’une heure, quand il dénonça le faux d’Henry, il avait cherché à la réparer en salissant tour à tour Picquart et Du Paty, ce qui lui avait valu à la fois la colère des revisionnistes et celle de Drumont ; il se sentait maintenant enfoncer de plus en plus dans ses contradictions, et il se raccrochait, en conséquence, avec des gestes de noyé, à la culpabilité de Dreyfus.

Grisé de son rôle dans l’étonnante tragédie, il était tourmenté, en outre, du besoin maladif qu’on s’occupât de lui, et il s’irritait, comme d’une injustice, qu’un jour se passât sans que son nom remplît les journaux. Manie du bruit, des grandeurs, du scandale, qui confine, temporairement, à la folie. Plusieurs des coryphées de l’énorme affaire en furent atteints, et dans les deux camps. Même de simples spectateurs, comme dans toutes les grandes commotions publiques, perdirent la raison ; des buveurs d’absinthe se crurent l’homme de l’île du Diable, des névrosées la dame voilée. On en enferma plusieurs[1].

Le plus affligeant, c’est que Freycinet, par peur, n’osait pas le renvoyer dans un régiment ou l’envoyer aux champs, continuait à prêter l’oreille à ses extravagances.

Comme Cuignet savait d’avance que la traduction du télégramme serait la même en 1899 qu’en 1894, il n’y

  1. Duprat, Causes sociales de la folie, 35.