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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/273

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L’ENQUÊTE


se reporta à l’instruction Tavernier ; il la reprit page à page, se heurta à la formelle expertise de Léopold Delisle[1]. Gribelin, questionné par André, attribua à Du Paty la dépêche « Speranza », mais repoussa le roman de Cuignet : que Du Paty avait tout machiné et qu’Henry n’avait été qu’un instrument entre ses mains. D’ordinaire placide et terne, il s’échauffa : « Cuignet, dit-il, se lave les mains du faux d’Henry dans le dolman du colonel Du Paty[2]. » Il ne savait pas d’ailleurs « de qui était le faux Henry », « ne s’expliquait pas » qu’Henry, s’il en était l’auteur, eût été si maladroit ; « soupçonnait » que c’était Lemercier-Picard, « qui ne s’était pas tué », mais « avait été pendu », et « ne connaissait point d’autre faux d’Henry[3] ». Ceux dont la preuve résultait de ses propres écritures, apparemment n’étaient point des faux, mais de légitimes ruses de guerre, puisque Dreyfus est certainement coupable ; « Il n’a pas écrit le bordereau, mais les pièces ont passé par lui. »

André, quand il posa cette singulière question à Gribelin : « De qui est le faux Henry ? … » suivait une idée qui lui était venue depuis peu, que Targe, avait adoptée et qui ne le cédait en rien aux imaginations les plus extraordinaires de Du Paty ou de Cuignet.

Il était, comme beaucoup de mathématiciens, inca-

  1. Voir t. V, 240.
  2. Interrogatoire du 21 juillet 1903.
  3. « André : De qui est le faux Henry ? — Gribelin : Ne sait pas. — André : Si c’est Henry, comment vous expliquez-vous sa maladresse ? — Gribelin : Ne se l’explique pas. — André : Quel autre faux a fait Henry à votre connaissance ? — Gribelin : Aucun. — André : Qu’a-t-on fait faire à Lemercier-Picard ? — Gribelin : Soupçonne qu’on lui a fait faire le faux. — André : S’est-il tué à votre avis ? — Gribelin : Croit qu’il a été pendu. » (Interrogatoire du 21 juillet 1903.)