Aller au contenu

Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
76
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Clemenceau, comme on pense, ne répondit pas, mais il publia la lettre, « la soumit respectueusement à MM. les sénateurs, membres de la Commission de l’amnistie[1] ».

Bernard Lazare aurait voulu que Mathieu Dreyfus, par quelque intermédiaire, achetât à Esterhazy ses papiers ; Mathieu objecta qu’on avait déjà persuadé à trop de gens qu’Esterhazy était « l’homme de paille » des juifs ; Esterhazy ne manquera pas d’avertir Drumont que le « Syndicat » a tenté de le corrompre. On n’aura même pas les papiers.

Esterhazy, repoussé par Clemenceau et ne voyant rien venir du côté des Dreyfus, joua son grand air. Il écrivit à Waldeck-Rousseau qu’il avait pris son parti, qu’il était décidé à aller jusqu’au bout : « Je suis prêt à rentrer en France… Je me livrerai pour mes actes à vos tribunaux. Ils sont méprisés de l’univers, mais ils ne m’empêcheront pas, au jour de l’audience, d’établir devant le monde entier l’infamie de ceux dont votre ambition veut assurer l’impunité. » (26 janvier.) Puis, deux jours après, dans une lettre à Monis, il demanda formellement à être entendu par un magistrat.

Waldeck-Rousseau, cette fois, le prit tranquillement au mot. Il savait qu’Esterhazy jouait la comédie, une comédie qui tournait à la farce, et qu’il se garderait bien de rentrer, à cause de sa condamnation pour escroquerie qui serait confirmée contradictoirement ; mais l’occasion lui parut bonne pour en finir avec ce perpétuel chantage, ces perpétuelles menaces de révélations non seulement contre l’ancien État-Major, mais contre Brisson, contre Galliffet et contre lui-même. En conséquence, il invita Lequeux, consul général à Lon-

  1. Aurore du 23 novembre 1899.