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Page:Journal de Gouverneur Morris.djvu/29

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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

C’est le jour des accidents. En sortant de là, je glisse au moment de monter en voiture et je me fais très mal à la cheville. Ainsi tout va mal. Je vais voir la comtesse de Durfort. Elle a du monde et elle vient de se lever. Elle veut me retenir à dîner, mais je refuse. Elle doit souper chez le baron de Besenval et je promets de m’y trouver si je le puis. Elle réplique que, si je n’y vais pas, c’est que je ne veux pas. « On peut tout ce qu’on veut. » En réponse, je balbutie un mauvais compliment. Je ne suis certainement bon à rien et la seule chose sensée que je puisse faire est de rentrer chez moi. C’est ce que je fais. Étant de très mauvaise humeur, je trouve le dîner exécrable. Je menace de changer de traiteur, ce qui est ridicule à l’extrême. Le garçon, qui est très humble, doit, je crois, me mépriser de me voir parler avec colère avant de pouvoir parler français.

À cinq heures, je rends visite à Mme de Ségur. Mme de Chastellux et Mme de Puisignieux sont avec elle. En parlant des hommes et des choses de la politique, j’ai la faiblesse et l’absurdité d’exprimer une foule d’opinions que je devrais cacher, et que j’aurai peut-être lieu de modifier. Deux dames viennent, et, comme je m’en vais, Mme de Ségur, à qui j’avais fait part de mon intention de voir M. Jefferson, a la politesse de dire : « Nous nous reverrons, monsieur Morris ? » J’ai la stupidité de répondre par l’affirmative. Je passe chez M. Jefferson avec qui je reste une heure, ce qui fait au moins cinquante minutes de trop, car sa fille avait quitté la chambre à mon approche, et n’attend que mon départ ; du moins, je le crois. Selon ma promesse, je retourne voir Mme de Ségur, et l’on m’introduit dans la pièce où elle se trouve avec son beau-père. Il est étendu sur un sofa et souffre de la goutte à la main droite, la seule qui lui reste. Mme de Chastellux se trouve là également, ainsi qu’une autre dame. Je pense que j’ai eu tort de venir ; c’est pourquoi je trouve très difficile de m’en aller. Enfin je