Aller au contenu

Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

touchante simplicité rappelle les mythes égyptiens ou persans et qui illustrera mon explication :

La charmante Isabelle enseigne à ses élèves à ne pas croire à l’injustice de la nature ; la puissance, l’esprit qui préside à toutes les manifestations de la nature, elle l’appelle l’Ensemblier ; mais il y a un second personnage malin et invisible pour expliquer les petits ennuis et les petites surprises de la vie. Vous savez, dit-elle, « celui qui claque les volets la nuit, ou amène un vieux monsieur à s’asseoir dans la tarte aux prunes posée, par négligence, sur une chaise » : il s’appelle Arthur.

Avec Arthur et l’Ensemblier, on expliquerait toutes les destinées.

Eh bien, Becque n’a pas pu concevoir l’Ensemblier ; il n’en a même jamais eu l’idée, et toute sa vie est remplie par la hantise d’Arthur, un Arthur personnel à Becque, un Arthur dont la malice s’est exercée sur lui avec une persévérance d’autant plus acharnée que le pauvre Becque accusait amèrement ses taquineries, au point qu’il aurait lui-même, je crois, posé la tarte aux prunes sur la chaise, pour avoir le plaisir amer de s’asseoir dedans.

Cette disgrâce de Becque, il faut le dire à sa décharge, a été aussi celle de son époque. J’éprouve comme un soulagement à l’idée d’avoir échappé moi-même à ces années qui fuient encore sous nos yeux et dont le sillage n’est pas tout à fait effacé. Car, ce qu’on a appelé l’Année terrible me semble, à moi, se prolonger jusqu’au