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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/123

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vient de terminer le Trocadéro. Tout le monde porte des bottines à boutons.

Voilà l’époque où Henry Becque a vécu. Il y a bien, dans un semblable climat, des circonstances atténuantes à sa tristesse et à son amertume, si le mot climat peut être pris ici dans son sens véritable : un ensemble de circonstances atmosphériques où se trouve placé l’esprit de l’homme.

« Un auteur dramatique, disait Becque, est un homme dont l’instinct, dont le génie, dont la fonction est de représenter ses semblables. » L’unique préoccupation de Becque a été de nous donner une photographie très précise de son époque. Il fut, avant tout, un réaliste ; mais le réalisme, dans l’art, ça n’existe pas ! Or, l’époque était réaliste et, de plus, l’époque était lamentable.

Un comédien qui lit une pièce a immédiatement le sentiment de l’atmosphère dans laquelle elle a été créée. En lisant les œuvres de Becque, il me semble que j’entends inlassablement résonner un glas funèbre. Et nous retrouvons chez tous ses pauvres héros ce goût du crêpe et de la cendre que Becque et son époque cultivèrent religieusement, se complaisant dans une tristesse qui n’avait plus rien de commun avec le romantisme.

Stéphane Mallarmé, chargé de la critique dramatique dans je ne sais plus quelle revue, et à qui on reprochait de ne pas aller voir les pièces dont il faisait le compte rendu, répondit : « Pourquoi voulez-vous que