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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/177

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sont pas tous, en vérité, des directeurs de théâtre. Leur faune présente, selon les époques, tellement de diversité et de variété, qu’il vaut mieux ne pas trop emprunter à l’anecdote.

Pour être plus véridique, j’y sacrifierai seulement en vous donnant un aperçu de mes débuts dans l’art dramatique. C’est l’histoire de mon premier engagement à Paris (tout cela ne date pas de bien loin et je ne le dis pas par coquetterie). J’avais passé une audition devant cet homme chargé de la scène et de ses accessoires, qu’on appelle le régisseur. Celui-ci, satisfait pour son compte personnel, m’envoya au directeur, en me déclarant que je pourrais toucher cent cinquante francs par mois.

— Demande cent cinquante pour avoir cent vingt, me dit-il.

Je franchis, le cœur battant, la porte du bureau directorial. Il y avait là un homme assis derrière un immense bureau qui, mis au fait de ma visite, bourra silencieusement sa pipe, l’alluma, rassembla les miettes de tabac qui avaient chu sur son buvard, cracha dans sa corbeille à papiers et, m’ayant considéré un moment, se mit en devoir de remplir les blancs d’un véritable engagement imprimé. C’était mon premier ! Vous imaginez de quel œil je suivais la course de sa plume sur le papier.

Soudain, il s’arrêta :

— Combien ? me demanda-t-il.