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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/192

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sous le péristyle de son théâtre. C’est là qu’il éprouve ses plus pures joies en forçant un client qui hésite, ou en lui refilant au prix d’un fauteuil un strapontin délabré. L’après-midi, emplissant de ses allées et venues sonores le vide désespérant du vestibule, on peut le voir au bureau de location. C’est de cette passerelle qu’il commande, qu’il reçoit ses fournisseurs et donne ses ordres, tout en surveillant les allées et venues des passants sur ce boulevard qui mène aussi à la gare voisine. Il épie le client comme l’araignée la mouche. En voici un tout à coup, il semble pressé, il se hâte. Point de doute, il vient louer. En effet, le voilà qui gravit précipitamment les marches du péristyle ; le directeur lui a tiré les deux battants de la porte, le suit au guichet et l’entend demander d’une voix haletante et épuisée :

— Vite, vite, un aller et retour pour Vanves, troisième.

— Quelle époque et quel métier ! s’écrie-t-il.

Et, de dépit, il rentre dans la salle où l’on répète. Là, surprenant un vieux figurant privé de conviction, qui ne participe que très mollement aux mouvements de la foule, — sans doute parce qu’on le paie au-dessous du tarif syndical — il s’emporte, l’interpelle avec véhémence et lui reproche de ne pas mériter son salaire. Alors, l’homme, qui, lui, est du métier, reprend toute sa dignité sociale et réplique, sans aucune déférence, en le toisant :

— Vous ne pensez tout de même pas que pour ce prix-là je vais vous faire Mounet-Sully ? Non ?